jacqueline Ledoux, l'Art de l'ouverture

Jacqueline Ledoux L’art de l’ouverture PHOTOGRAPHIES
La photographie de Jacqueline comporte une infinie tendresse envers ses sujets. Cette tendresse ne tend jamais vers la mièvrerie, elle va même dans le sens opposé : elle fait prendre de la hauteur avec malice, ironie, humour et, immanquablement, avec poésie. Point de contemplation vaine ici ; la vie, la volonté de dire et de questionner transpirent. Edgar Morin, humaniste centenaire au cent vies – à qui l’on ne saurait pour autant reprocher un manque de constance éthique – dit ceci à propos du fait de mener une vie poétique : “Ce que j’appelle l’état poétique, c’est cet état d’émotion devant ce qui nous semble beau ou/et aimable, non seulement dans l’art mais également dans le mondeet dans les expériences de nos vies, dans nos rencontres. L’émotion poétique nous ouvre, nous dilate, nous enchante”. La photographie de Jacqueline invite en effet à une respiration, à une ouverture. A une réflexion bienvenue. Où qu’elle soit allée dans le monde, Jacqueline a cherché, traqué et souvent trouvé dans les corps, les regards, les attitudes, les décors, les lieux, les angles morts, dans les revers de manche et les dessous des coutures, un ravissement. Se côtoient dans son regard jubilation et nostalgie. Or, dans ce jeu de dupe, pas de doute, c’est la joie qui l’emporte. Willy Ronis disait “La photographie c’est l’émotion”. Elle naît de ce trouble de voir ce qui n’est déjà plus. Nous rencontrons, grâce aux yeux de Jacqueline, des personnages hauts en couleurs, capturés par et dans un objectif bienveillant, et nous nous y attachons. On se demandera alors ce qu’ils sont devenus, où allaient-ils et y sont-ils parvenus ? C’est le rôle que l’on acceptera de jouer. On aura parfois l’impression que ces personnages nous attendaient mais on ne le saura jamais. Il va falloir, littéralement, adopter un point de vue, se contenter d’être témoin privilégié, traverser les apparences, y revenir, pour peut-être faire la lumière sur le mystère. Anne Yven, journaliste à Citizen Jazz.
Comment vous définissez-vous ? Je fais des photos et je suis cueilleuse plutôt que chasseuse d’images. J’essaie essentiellement de créer une fiction avec des personnages dans un décor réel que je considère comme un personnage vivant. L’instant où vous pensez avoir décidé de faire de la photo ? Enfant, je faisais souvent route vers le Portugal. La traversée des landes, longue et monotone, était le moment où je commençais à m’agiter à l’arrière de la voiture. Mon père a alors trouvé un truc qui a presque trop bien marché. Il m’a dit que les forêts étaient habitées par des fées et qu’en regardant attentivement, j’aurais peut-être la chance d’en apercevoir… et ce fut le cas : Pendant une fraction de seconde j’ai perçu une sorte de flash coloré dansant dans le vent d’une clairière…(probablement du linge à sécher mais…) J’ai précieusement gardé cela pour moi, entre peur de ne pouvoir en donner la preuve et désir de secret. Je vois encore cette image fugace qui m’a procuré le sentiment d’avoir assisté à quelque chose d’unique mais sans avoir pu le fixer ! Je crois que je cherche encore des fées dans des forêts monotones. L’autre déclencheur fut Lisbonne et la lecture conjointe de “Requiem” d’Antonio Tabucchi. Or, il y a souvent un récit rêvé et incertain sous-jacent dans mes déambulations, qu’elles soient photographiques ou autre. Partez vous avec une intention ? Presque jamais. C est le lieu qui me guide. Pour “Bleus de Bress” par exemple, je suis d’abord partie au hasard et ce n’est qu’après plusieurs séances que j’ai trouvé ce fil bleu qui s’est révélé en regardant les photos. Alors je l’ai suivi. Au départ, c’est presque toujours une imprégnation dans un décor qui déclenche un certain type d’émotions. Alors, il y a rencontre… ou pas. Valparaiso (l’un des trois ports d’A la veille de ne jamais partir) a été un coup de foudre dès le premier virage. Entre la ville que j’avais fantasmée et la ville réelle j’ai ressenti une joie qui m’a mise en route. J’y ai trouvé mon espace en suivant des petits bouts d’histoires. C’était aussi une remontée dans le temps d’un Lisbonne qui commençait, lui, à se dissoudre sous les coup des promoteurs et de l’uniformisation. Quel moyen de transport privilégiez-vous ? Je me balade à pied sans programme et sans plan, mais j’ai aussi une tendresse particulière pour les transports lents propices aux travellings. Le tram et les bateaux dans les baies ont mes faveurs (Lorient, Naples, Lisbonne, Istanbul..) Cela m’inspire de voir les gens se déplacer dans des lieux frontières et regarder autour d’eux sans rien de précis à faire. C’est un moment suspendu, passif….enfin, c’était ainsi avant que tout un chacun ne regarde plus que son portable. Vous avez fait des études de cinéma, en quoi vous guident-elles ? Adolescente je “rêvais cinéma”. Aujourd’hui, je vois souvent la photo au milieu d’autres photos, non comme une série, mais comme partie d’une séquence. J’ai poussé cela à l’extrême pour “Natures du mouvement” qui était construit en phrases/ séquences de 3, 6 ou 9 photos, elles-mêmes séparées par des espaces de silences. Le tout était comme une partition, une bande son muette que chacun pouvait recréer! Le personnage n’existe que dans un décor, rarement seul et jamais posé, comment l’expliquez-vous ? Le décor est le premier personnage, celui qui déclenche une envie et une humeur que le personnage humain va concrétiser ou non. Nous sommes 4 : Le décor, le personnage, mon regard et celui du spectateur car j’ai absolument toujours envie de partager cette rencontre éphémère dès que je déclenche. Vous pratiquez souvent la mise en abîme c’est un choix réfléchi ou instinctif ? Instinctif ! Mais instinctif veut dire que l’on a absorbé influences et réflexions en amont.

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